Des chèques "culture" et un loto du Patrimoine. De la poudre aux yeux comme d’habitude et toujours aussi peu d’envergure.

Inutile de redire l’importance que représente la culture pour une nation et son peuple.

Comme l’intelligence, qui n’est pas la somme du savoir accumulé mais avant tout la façon dont notre cerveau l’agence, l’organise, la Culture n’est pas seulement la nébuleuse d’acquis scientifiques et artistiques qui nous sont accessibles, mais surtout une pratique sans laquelle tout ce patrimoine basculerait dans le futile, l’inutile, la déshérence et enfin l’oubli. Elle est, plus certainement que le rire et les sentiments, ce qui nous distingue le plus des animaux.

Comme disait Pagnol, "les cailloux sont les os de la Terre", les sciences et les arts sont les os de notre connaissance et de notre expérience d’être en ce monde.

Que serait un pays couvert de friches et de terrains vagues incultes ? C’est parce que notre terre a été couverte par nos ancêtres de paysages, de champs cultivés, de fermes, de villages et de villes, de bâtiments, de monuments, de routes et de ports que nous avons la fierté de vivre en ce pays.

Que serions-nous sans ce patrimoine sinon de piètres barbares juste soucieux de survivre au jour qui finit ?

Ce sont les sciences et les arts qui nous ont élevés. Au sens d’élévation. Boire, manger ne font pas de nous des hommes plus avancés que de simples hominidés repus. Ce sont les sciences et les arts qui nous élèvent.

La musique était de la mathématique pour les grecs, la licence poétique des contes mythologiques servaient la logique et la morale, les sextants étaient sculptés et les palais aussi.

L’optimisation du geste et de l’effort pour les sciences, et le sens du beau pour les arts, ont longtemps cheminé ensemble, ont emprunté des routes particulières qui sont passées par les célébrations religieuses, les pratiques guerrières ou les appétences sexuelles, mais à la fin, à l’époque des lumières, la raison s’en est mêlée et nous voilà devant deux édifices distincts, sciences et arts, qui racontent à toutes les nations qui prennent la peine de les contempler ce qu’elles sont, ce qu’elles aiment, ce dont elles peuvent être fières et ce sur quoi elles peuvent compter pour construire leur avenir.

Le débat philosophique fondamental opposait le parti du prima de l’Esprit sur la Matière à celui du prima de la Matière sur l’Esprit. Dieu avait-il créé la Matière ? La Matière avait-elle créé l’Esprit ? Le débat faisait rage mais en fait tous s’accordaient pour rechercher l’origine du Beau, de quel miracle procédait l’agencement du monde, par quelle intrication d’atomes la perfection de mère nature avait émergé du néant ?

Aujourd’hui la seule question qui vaille est celle de la rentabilité en toute chose, en toute action. Le prima de l’Economie sur l’Humain, le prima de la Finance sur la Planète.

Rien d’autre ne compte que l’Argent et, bien sûr, ceux qui en ont le plus accumulé. La Culture est devenue un caprice superflu que seuls les plus riches (tiens comme c’est étrange!) peuvent se payer le luxe de "consommer".

Oui, parce que la Culture est désormais un bien de consommation accessible sous conditions sonnantes et trébuchantes.

A vrai dire, il y a longtemps que la culture a quitté l’espace démocratique, mais jamais elle n’avait été déniée à celui qui voulait s’y vouer. Des peintres rupestres aux danseurs folkloriques, des joueurs de binious aux scribes de village, des sculpteurs de façades aux brodeuses de brocarts, tous ces façonneurs de bel ouvrage n’étaient pas privés d’expression artistique et recueillaient l’estime de tous.

Aujourd’hui, soit vous êtes un doux rêveur s’adonnant à perte de temps et d’argent à un hobby sans intérêt, soit vous êtes un grand artiste adoubé en grande pompe par des prescripteurs capables de monnayer pour vous le génie dont ils ont eux-mêmes fixé la valeur.

Improductif ou machine à cash, voilà la seule alternative. Entre les deux, vous êtes tout juste voué à ce qu’ils appellent l’intermittence, la survie à la petite semaine.

Et si par malheur, l’impétrant au génie artistique tentait une gesticulation hors cadre, il subirait promptement une humiliation de cour menée par des critiques, mercenaires des petits capitalistes de la Culture.

Ne dit-on pas dans les milieux artistiques qu’il faut "avoir la carte" ? Etre adoubé selon un protocole mystérieux de cooptation mondaine.

La Culture est donc désormais un bien de consommation autant que le sont les artistes ; et, on l’a constaté lors de la récente pandémie, autant que le sont aussi les scientifiques.

La Culture se consomme donc par les deux bouts ; côté créateurs et côté citoyen.

Pas étonnant que les solutions du Roitelet en place consistent à distribuer des "cartes" : Des chèques "culture" et des tickets pour le loto du Patrimoine. De la poudre aux yeux comme d’habitude et toujours aussi peu d’envergure et d’ambition. Toujours aussi peu de vision et toujours autant de barbarie... cachée dans un bas de soie.